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| Réflexions : Sciences, généralités
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L es sciences, les techniques et bien sûr les
techno-sciences: trois domaines très prégnants à l'heure actuelle. Au fond, à quoi
servent-elles ? Dans un état antérieur, je ne sais trop; actuellement, à rien. Non
pas en soi, mais dans leur organisation. On se trouve actuellement dans une situation
comparable à celle que connut la science classique vers la fin du XIX° siècle: les
techno-sciences sont parvenues à un certain niveau de perfection, mais le coût des —
rares — nouvelles découvertes qu'elle peut faire est de plus en plus élevé. Ce qui va
contre le mouvement normal de la vie et de la société, lesquelles réclament une
efficacité maximale pour un coût minimal.
Ce que je raconte là est, il me semble, de l'ordre de l'évidence première, et chacun
peut se rendre compte que les sociétés humaines «fonctionnent» de plus en plus mal. Les
tenants de l'ordre actuel mettent ça sur le compte des «résistances» de tels groupes — en
général ceux dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. Par exemple, en ce début d'année
2004 le gouvernement Raffarin met ça sur le compte de «l'immobilisme». Ce qu'est cet
immobilisme, difficile à dire: si l'on considère le groupe le plus pesant socialement
pour lequel ce gouvernement agit, les détenteurs de capitaux («les patrons», si cette
désignation a encore du sens), on ne voit guère plus immobile: le MEDEF est un grand
partisan de la «mobilité» et du «risque», mais, pour les autres. Pour lui, pour ses
membres, ils veut que surtout rien ne change, sinon dans le sens d'un renforcement de ses
position. Ses membres sont bien là où ils sont, tout au sommet de la pyramide sociale, et
ne veulent surtout pas en bouger.
Justement, la «pyramide sociale». C'est de moins en moins une pyramide: si l'on prend
la situation dans une société développée type, on a une flèche effilée au sommet, avec
un petit groupe formant au mieux 10% du corps social qui détient environ 60% des «biens
sociaux», représentés par le capital financier, immobilier, mobilier ou social, juste
en-dessous une petite pyramide, environ 30% de ce corps social, qui détient un capital
équivalent à son poids dans la société, et à la base un gros rectangle assez plat, les
60% restant du corps social, qui doit se partager un petit 10% du capital. Si maintenant
on prend la situation de la «société globale» que forme désormais l'humanité, c'est
encore plus disproportionné: pour prendre un indicateur simple, le revenu par habitant ou
PIB/h, la moyenne mondiale en 2001 était de 4.896 $; divisant la population mondiale
en trois tranches, celle dont le revenu est au moins double de la moyenne, celle allant
du double à la moitié (de 2.448 $ à 9.792 $) et celle en-dessous de la moitié,
on a 15% de la population qui détient 80% du PMB (produit mondial brut) pour un PIB/h
cinq fois supérieur à la moyenne, puis au milieu une petite «classe moyenne», 10% de la
population, détenant 10% du PMB pour un revenu dans la moyenne, en bas et sans surprise
75% de la population se disputant 15% du PMB pour un PIB/h près de sept fois en-dessous
de la moyenne. Bref, on vit dans un monde inégalitaire.
Ce qui est vrai pour l'humanité et la société l'est pour chacun de ses secteurs, dont
ceux des sciences et techniques: les crédits de recherche sont très mal répartis, la
recherche fondamentale et appliquée dans les domaines «technologiques» jugés les plus
importants en recueille l'essentiel, les autres devant se contenter de peu. Ici, les
«classes moyennes» sont représentées par la partie «fonctionnelle», mais ailleurs c'est
la même chose, je veux dire: l'essentiel de ces «classes moyennes» est constitué par les
personnels d'encadrement et de gestion. Dans les domaines de la science et de la
technique, y a une vaste population de «laborantins» et «doctorants» navigant entre
pauvreté et misère, une population importante de personnel d'encadrement s'occupant
seulement de faire tourner la machine, et une petite élite de chercheurs «statutaires».
Sinon, donc, les crédits vont d'abord à ce qu'on appelerait la recherche lourde:
physique, chimie, biochimie, biologie, médecine physiologique, les sciences abstraites
(maths, logique) ou humaines et sociales (sociologie, médecine psychologique et sociale,
informatique, etc.) recevant la moindre part. Et ne parlons pas de tous ces secteurs qui
dans l'imaginaire social sont sortis du domaine de la science, l'histoire, la géographie,
les études littéraires. Je dis bien dans l'imaginaire social, car dans la réalité
effective ils y figurent toujours.
La société souffre de dysfonctionnements structurels; les secteurs de la
recherche étant partie de cette société souffrent du même mal. Je vais tenter, dans cette
rubrique, de comprendre ce qu'il en est, tant d'un point de vue interne (ce qui, dans la
manière propre dont sont organisées, enseignées, pratiquées ces sciences, techniques et
technosciences, est inadapté au contexte actuel) et «externe», dit entre guillemets en ce
sens que, les observant non plus en tant que secteurs spécifiques mais qu'organisations
sociales, les causes sont autant internes qu'externes.
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