U ne question m'intrigue depuis longtemps: «qui est l'auteur» ? Certes qui est l'auteur de ces pages, mais plus largement qui peut se prévaloir du titre d'auteur de quoi que ce soit qui ne ressorte pas du brevet «au sens de la Convention sur le brevet européen», comme le rappelle le «projet de directive européenne sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur», lequel, en l'état actuel, détermine qu'un logiciel ne peut, en tant que lui-même, faire l'objet d'un brevet. Droit d'auteur et droit de reproduction, comme je le rappelle dans le texte «Copyright», sont étroitement liés. Ce dont les auteurs de la directive en question sont d'accord. Pour bien le dire, le droit de copie dérive du droit d'auteur. Mais si un objet industriel ou artisanal a une discontinuité avec la réalité environnante qui permet de dire qui est le créateur initial (bien que ce ne soit pas toujours le cas), avec les «œuvres de l'esprit» il n'en va pas de même. Comme le disaient assez justement sur France Culture un dénommé Pierre Breeze, présenté comme «Physicien et Juriste. Conseil en propriété industrielle», ou bien Michel Rocard, qu'on ne présente plus, je ne sais plus lequel des deux, bref, comme disait l'auteur de cette phrase, on ne peut breveter une formule mathématique, une série d'accords dans une symphonie de Beethoven ou un arrangement de mots d'un vers de Mallarmé. Sur cette question des séries d'accords, l'exemple fameux du procès de je ne sais plus quel groupe obscur contre George Harrison à propos de la mélodie de son tube planétaire My Sweet Lord l'a montré, puisque les avocats de M. Harrison ont «prouvé» que la matrice de cette chanson et de celle des plaignants était une chanson plus ancienne d'un bluesman louisianais; mais les héritiers de ce bluesman auraient-ils à leur tour fait un procès à George Harrison qu'ils auraient perdu, lui-même ayant probablement (ayant certainement) repris une structure existante, par cette évidence qu'il n'y a pas une possibilité infinie d'enchaînements d'accords, surtout dans le blues, et dans la musique harmonique l'on trouvera toujours un antécédent à toute série d'accords d'un air dans le domaine public. Il y a trois sortes d'œuvres de l'esprit, celles qui reproduisent une forme, celles qui produisent une forme, celles qui inventent une forme. Les plus fréquentes sont celles qui reproduisent une forme, ce qui cependant n'exclut pas l'innovation, il en est ici comme il en est des œuvres de la chair: chaque être nouveau est semblable et différent de chaque être de son espèce; quoi de plus semblable à une bluette en si mineur qu'une autre bluette en si mineur ? Ou à un blues en la majeur qu'un blues en la majeur ? Et pourtant, chaque œuvre «reproductrice» diffère subtilement de ses semblables (sauf cas de plagiat). Les œuvres produisant une forme sont celles se calquant sur un modèle général, structure ou forme, mais sont inassimilables aux autres, c'est par exemple le cas d'une symphonie romantique, toutes ont un instrumentarium assez similaire et une organisation du même ordre mais chacune a son propre déroulement. Les œuvres qui inventent une forme sont assez rares, et en outre n'inventent pas à partir de rien. Pour prendre deux cas dans la littérature française du XX° siècle, Marcel Proust et sa somme À la recherche du temps perdu ou cette «école» des Éditions de Minuit réunie sous le nom de «nouveau roman» ont inventé des formes mais découlent cependant d'une forme générale préexistante, le roman. Ce sont cependant des inventions parce qu'elles rompent avec toutes les normes des diverses formes existantes des romans de leur époque. J'ai pris des exemples dans le domaine des arts, mais il en va de même dans le domaine des sciences ou des techniques, et tout autre donnant lieu à création. Donc, trois formes, qui devraient donner lieu à trois sortes de «droits d'auteur», la première relevant du «dépôt légal», la deuxième du «brevet», la troisième seule relevant de quelque chose qu'on nommerait «droit d'auteur». La réalité est autre, et chacune de ces formes s'applique non pas en fonction de la qualité de l'œuvre, mais en fonction du domaine concerné: le brevet s'applique aux techniques et à l'ingénierie, le dépôt légal aux activités artisanales et aux industries culturelles, le droit d'auteur aux «œuvres de l'esprit», entendu comme créations artistiques ou culturelles, sinon que, bien sûr, il existe ce qu'on appelle les «droits voisins» du droit d'auteur, très proches du, voire équivalente au dépôt légal mais s'appliquent à des productions culturelles originales (productions d'œuvres nouvelles). Enfin, il existe des domaines où l'on n'applique aucun de ces procédés, ou un procédé qui ne correspond pas à la réalité de la qualité de l'œuvre, parce qu'ils n'apparaissent pas redevables du procédé le plus adéquat; c'est le cas par exemple de l'architecture ou du génie civil. L'idée même d'auteur n'est pas évidente, d'autant si l'on considère l'étymologie: le mot latin dont il dérive, auctor, signifie, nous dit le TLF (le Trésor de la Langue française), «instigateur, conseiller»; il se relie au terme «autorité», latin auctoritas, qui contient deux notions, celle explicite de l'«augmentation» et cell |